" Je
commence à savoir
peindre. Il m’a fallu plus de cinquante ans de travail pour arriver à ce
résultat,
bien incomplet encore ", déclare le peintre
Pierre-Auguste Renoir (1841-1919) en 1913 au moment où l’on
peut voir à la galerie Bernheim-Jeune à Paris
une importante exposition de ses oeuvres, parmi lesquelles des grands nus
peints au tournant du XXe siècle.
C’est une révélation.
Guillaume Apollinaire fait l’éloge de celui qu’il considère
comme « le plus grand peintre vivant »: « Renoir grandit
continuellement. Les derniers tableaux sont toujours les plus beaux. Ce sont
aussi les plus jeunes ».
«
Impérissable jeunesse » en effet, pour reprendre la formule
admirative de Thadée Natanson en 1900, qui voit Renoir jouir d’un
prestige incontesté sur la scène
artistique du début du XXe siècle. Le peintre y est salué comme
une figure emblématique de l’impressionnisme
des années 1870 mais il est aussi admiré pour sa capacité à avoir
dépassé et
renouvelé un mouvement de plus en plus largement accepté. A
l’instar de ses contemporains et amis Paul Cézanne
et Claude Monet, Renoir est une référence pour de jeunes générations
d’artistes.
Pablo Picasso, Henri Matisse, mais aussi Pierre Bonnard ou Maurice Denis
professent leur admiration pour le maître,
et en particulier pour sa «
dernière manière », celle du tournant du XXe siècle.
De grands amateurs de l’art moderne, tels Leo et Gertrude Stein, Albert
Barnes, Louise et Walter Arensberg ou encore Paul Guillaume, collectionnent
Renoir aux côtés de Cézanne,
Picasso ou Matisse.
Après les combats de l’impressionnisme Renoir remet en cause
vers 1880 les préceptes du mouvement au profit du retour au dessin
et du travail en atelier, en référence
avouée au passé. Ce moment de crise et de tâtonnement
s’achève à l’orée
des années 1890, qui ouvrent la voie à la reconnaissance publique,
institutionnelle et commerciale de l’artiste. Sans renier l’impressionnisme,
Renoir invente alors un art qu’il veut classique et décoratif. « Peintre
de figures » comme il aime à se définir, Renoir désigne
tout particulièrement le nu féminin,
le portrait et les études d’après le modèle, en
atelier ou en plein air, à des expérimentations
novatrices.
Artiste en perpétuelle quête, promis au défi, Renoir veut
se mesurer aux grands exemples du passé qu’il a admirés
au Louvre ou lors de ses voyages, tels que Raphaël,
Titien et Rubens. Ses recherches sont dominées par le refus du monde
moderne au profit d’une Arcadie
intemporelle, peuplée de
baigneuses sensuelles et inspirée du Sud de la France qu’il
fréquente
assidûment à partir des années 1890. Il perçoit
le paysage méditerranéen comme une terre
antique, à la fois berceau et dernier refuge d’une mythologie
vivante, familière et actuelle. Renoir
revient de façon régulière et obstinée à un
nombre limité de thèmes qu’il
n’hésite pas à explorer dans des techniques inédites
pour lui, comme la sculpture.
Au fil des années 1900, le travail d’après
le motif et les modèles conduit à une recomposition complète
et libre du sujet, dont les odalisques et surtout Les Baigneuses de 1918-1919
(Paris, musée
d’Orsay) marquent le couronnement.
Renoir ne désigne-t-il pas le tableau comme un « aboutissement » et
un « tremplin
pour les recherches à venir » ? C’est ainsi que l’entendent
certains artistes en France au début du XXe siècle,
dans le contexte souvent polémique du développement du cubisme
et des abstractions : Renoir définit un point d’équilibre
entre objectivité et subjectivité, entre tradition et innovation, à la
source d’une modernité classique.
L'exposition est construite selon une double perspective
: faire redécouvrir une période et des aspects méconnus
de l’oeuvre de Renoir (les peintures décoratives,
les dessins, la sculpture,…), tout en évoquant le rayonnement
de son art dans la première moitié du XXe siècle en
France.
L’exposition rassemblera une centaine de tableaux, de dessins
et de sculptures de Renoir, provenant de collections publiques et privées
du monde entier. Ces nus, portraits et études de modèles ont
pour certains appartenu à Matisse ou Picasso. Répartis
en quinze sections, ils seront ponctuellement confrontés à des
oeuvres de Picasso, Matisse, Maillol ou Bonnard, attestant la postérité de
Renoir.
Ainsi, l’exposition invite à revoir
le dernier Renoir en sollicitant le regard que ces artistes de la première
moitié du XXe siècle
ont posé sur un maître du XIXe siècle qui était
leur contemporain.
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